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Vous le savez, notre objectif principal est de tester les jeux vidéo du commerce pour vérifier leur adaptation, ou non, aux différents profils de handicap.
Bien entendu, nous ne nous attendons pas à ce que tout jeu soit accessible à tout type de handicap, mais nous constatons à force de tests que la plupart des jeux présentent des difficultés d’accessibilité dès leur lancement.
C’est pourquoi, à l’occasion de la Paris Games Week 2015, nous sommes allés à la rencontre des écoles de formation pour savoir comment les futurs créateurs de jeu étaient sensibilisés à cette problématique et s’ils y avaient des réponses. Devant ces questions un peu inattendues, deux écoles ont pourtant pris le temps de nous répondre et nous tenons à les remercier.
Eddy Léja-Six, responsable pédagogique Game Design à ISART DIGITAL, a donc répondu à une série de nos questions et, au lieu d’y répondre, Brice Roy, directeur pédagogique à ICAN Game Design, nous a invité à venir les poser directement à ses étudiants à l’occasion de leur programme de conférences. J’y suis donc allé ce 19 janvier pour rencontrer une bonne cinquantaine d’étudiants en Game Design.
Nous avons constaté ce qu’Eddy Léja-Six nous décrit comme “le domaine qu’on appelle UX (User Experience), un ensemble de pratiques communes qui sont largement appliquées sur toutes les formes d’interaction homme-machine : mapping de touches en fonction de la position des mains sur le pad, apparence des éléments interactifs, codes couleurs, position des éléments principaux à l’écran, etc. De plus en plus de ces pratiques sont issues des sciences cognitives.
L’objectif de l’UX est de réduire la friction, c’est-à-dire tout ce qui va freiner ou compliquer l’utilisation du logiciel : on parle donc d’intuitivité, de fluidité ou d’affordance (la capacité d’un objet à suggérer sa propre utilisation). L’adaptation aux utilisateurs est la règle absolue : on ne peut pas attendre d’un joueur très occasionnel qu’il devine le schéma des contrôles, même si celui-ci semble évident aux gamers qui ont développé le jeu ; il peut sembler optimal de mettre tous les boutons tactiles à droite de l’écran, mais un joueur gaucher va constamment masquer l’écran de jeu avec sa main ; un joueur européen aura l’habitude d’appuyer sur X pour valider et O pour annuler, mais un joueur japonais fera spontanément l’inverse, etc.
Les problématiques sont similaires vis-à-vis des joueurs handicapés, mais tout dépend de la gravité du handicap et de la quantité de mesures à prendre. Je ne pense pas m’avancer beaucoup en disant que de nombreux développeurs ne connaissent que les formes de handicap qui les touchent eux-mêmes ou quelqu’un qu’ils connaissent.”
Et ce dernier constat, notre discussion avec les étudiants de l’ICAN est venue le confirmer. Les jeux et leur interface sont développés de manière à répondre au schéma corporel et intellectuel du plus grand nombre.
Notre problème est donc que nos joueurs en situation de handicap sont en dehors de ce panel, soit parce que leur handicap physique – comme le fait d’avoir un contrôle limité de sa motricité pour Nico, notre testeur – soit parce que la transmission d’une information semble évidente pour le panel général, comme l’utilisation de l’écrit, mais ne l’est pas pour une personne en situation de handicap mental et bien souvent non-lecteur. Alors pourquoi ne sont-ils pas pris en compte ?
Eddy Léja-Six nous explique que “l’objectif des développeurs est toujours de permettre à un maximum de personnes de pouvoir utiliser le jeu. Le degré de “usability” d’un jeu est habituellement évaluée via des playtests, durant lesquels une poignée de joueurs représentatifs de la cible (âge, expérience de jeu, centres d’intérêt) testent la dernière version du jeu. Aucun développeur ne sortirait son jeu sans l’avoir playtesté.
De plus en plus, les jeux en ligne ou en lien avec un serveur permettent aux développeurs d’expérimenter certains choix de design et de voir leur résultat immédiatement via de l’analyse de données. Par exemple ajouter déplacer un bouton sur l’autre moitié de l’écran et voir si les joueurs cliquent davantage dessus.”
C’est donc que les développeurs n’intègrent pas le public en situation de handicap dans leurs playtests, ce qui permettrait de se rendre compte immédiatement des décalages.
D’ailleurs, comme notre groupe participe dès que possible aux salons, les développeurs que nous rencontrons sont souvent étonnés des difficultés que nous rencontrons par méconnaissance. Pour ne citer qu’un exemple, un des développeurs du jeu Anarcute qui a pris note de nos remarques pour les intégrer à son développement.
La discussion avec les étudiants d’ICAN est venue renforcer cet état d’esprit. Il suffit de donner quelques exemples pour que ces futurs game designers cherchent à y trouver des solutions. Comme me l’expliquait Yacine Kadili, enseignant Game Design à l’ICAN, “c’est le travail du game designer de trouver une solution aux problèmes d’utilisation d’un jeu. S’ils en ont connaissance, ceux-ci chercheront à les régler”.
Vous me direz, puisque c’est une question de connaissance du problème, il “suffit” de sensibiliser et former les game designers aux problématiques liées aux différents types de handicap. Qu’en est-il à ce sujet actuellement ?
Yacine Kadili, enseignant Game Design à l’ICAN, nous explique qu’il n’y a pas de cours spécifique, mais que suite à notre rencontre, il va inclure cette réflexion dans son programme. Alors qu’Eddy Léja-Six, nous dit que concernant ISART “chaque année, nous essayons d’organiser un cours et un atelier pour nos étudiants de 3e année de Game Design, sur le sujet de l’accessibilité aux joueurs handicapés.
Nos étudiants sont déjà formés à la démarche qui consiste à adapter le contenu du jeu aux spécificités de la cible, donc l’objectif de cette intervention est de faire connaître aux étudiants les différentes formes de handicap et la façon dont elles modifient l’appréhension du gameplay”.
Donc même si notre constat lors des tests tend plus à penser que les jeux ne sont pas du tout adaptés aux différents types de handicap, cela nous rassure de savoir que la future génération de game designer aura des notions de ces problématiques. Et la discussion à l’ICAN va dans ce sens : les étudiants ne demandent qu’à en savoir plus sur les difficultés rencontrées et sont prêts à réfléchir au moyen de les contourner.
C’est d’ailleurs déjà arrivé pour des projets spécifiques où médecins et game designer travaillent de concert pour développer un jeu qui permette, par exemple, à des personnes en rémission d’un accident vasculaire de travailler leur motricité tout en donnant des données essentielles aux kinés qui les accompagnent. C’était le sujet d’une conférence du Play Research Lab de Valenciennes à laquelle nous avions participé en 2014.
Plus généralement, et comme quoi il est possible de faire évoluer les choses, on voit de plus en plus de jeux offrant des filtres permettant aux joueurs daltoniens ou souffrant d’épilepsie photosensible de jouer. C’est donc possible.
Mais pour reprendre les propos d’Eddy Léja-Six d’ISART, “comme tous les efforts d’accessibilité, cela a un coût”, et il faut donc une volonté des éditeurs et développeurs d’élargir la base de leurs playtest et de créer les options de jeu permettant l’accessibilité aux jeux vidéo pour les personnes en situation de handicap. Selon une étude de l’INSEE, “les résultats révèlent que plus d’un français sur quatre souffre d’une incapacité, d’une limitation d’activité ou d’un handicap (26,4% des français soit 11 840 208 individus)”, cela fait pas mal de joueurs potentiels en difficulté !
En attendant, puisqu’elle n’existe pas, une signalétique sur les jeux permettant de mieux choisir les jeux en fonction de son type de handicap serait déjà un gros début. En attendant, il vous faudra continuer à nous lire pour en savoir plus !!